Quand on parle du genre Homo, j’imagine que vous pensez tout de suite à notre espèce, Homo sapiens. En effet, aujourd’hui, nous sommes les uniques représentants de ce genre, qui a pourtant compté de nombreuses espèces. Mais savez-vous quand sont apparus les premiers représentants du genre Homo ? À quoi ressemblaient-ils ? C’est le sujet de cet article.
Je vais commencer par une petite histoire : on ne déroge pas au fameux historique scientifique qui est essentiel pour bien comprendre les choses. Depuis 2015, les plus anciens outils taillés sont datés de 3,3 Ma et ont été retrouvés à Lomekwi, en Afrique, au Kenya. Avant cette date, les plus anciens outils étaient datés de 2,4 Ma et avaient été retrouvés à Olduvai, en Tanzanie, en Afrique. Les premières fouilles sur ce site extrêmement important pour la préhistoire datent de 1913 et ont été menées par Hans Reck. Entre 1931 et 1958, ces fouilles sont conduites par le couple Louis et Mary Leakey, figures importantes de l’archéologie préhistorique. Pendant les 28 années de fouilles qu’ils mènent, le couple trouve une quantité très importante de pierres taillées et de restes d’animaux couvrant toute la période quaternaire. Cependant, aucune trace de fossiles d’hominines pouvant être à l’origine de ces outils. Mais en juillet 1959, bingo ! Ils trouvent le premier fossile d’Hominine dans le niveau correspondant aux outils retrouvés. Ce niveau est nommé Bed 1 et est daté à 1,8 Ma. Le fossile, un crâne, est nommé OH5. Il sera publié dans la célèbre revue Nature le mois suivant.
Néanmoins, une question subsiste : est-ce que l’individu auquel appartient ce crâne est l’auteur des outils retrouvés ? La morphologie de celui-ci est beaucoup plus archaïque que celle des représentants du genre Homo connus à cette période, et elle ne correspond d’ailleurs pas aux attentes du couple Leakey. Pour eux, l’auteur des outils appartient forcément au genre Homo, et le crâne retrouvé s’écarte trop de la définition de ce genre.

En 1967, Phillip Tobias publie ce crâne sous le nom de Zinjanthropus boisei. Des débats commencent alors sur ce fossile pour déterminer s’il s’agit d’un Australopithèque robuste ou d’une autre espèce. Pour information, il est aujourd’hui attribué à l’espèce Paranthropus boisei. Mais l’histoire ne s’arrête pas là… Déterminés à retrouver le « véritable » artisan des outils, les Leakey retournent fouiller sur le site, persuadés qu’il existe bien un Homo à l’origine de ces premiers outils et qu’en aucun cas l’auteur de ceux-ci ne pourrait être un fossile aussi archaïque.
Plusieurs autres fossiles vont être mis au jour entre 1960 et 1964, toujours dans le Bed1. Certains de ces fossiles, tels que OH7, OH13 et OH8, sont très différents du Zinjanthropus boisei. Ils sont d’ailleurs beaucoup plus en adéquation avec la morphologie imaginée pour les premiers tailleurs d’outils. Cependant, au moment de sa découverte, la définition du genre Homo qui fait consensus ,n’admet pas une capacité crânienne aussi basse. Cependant, en 1964 un article écrit par Leaky, Tobias et Nappier est publié, proposant une révision de la définition de ce genre, acceptant une capacité crânienne, enlevant cette barrière.
La même année, la publication de l’article « A new species of the genus Homo from Olduvai Gorge ». L’espèce Homo habilis est ainsi « née ». L’individu OH7, bien qu’appartenant à un individu immature (n’ayant pas encore terminé sa croissance osseuse), est choisi comme holotype de cette espèce, car il est le plus complet trouvé dans le Bed 1. Les individus OH13 et OH8 seront alors considérés comme des paratypes. Homo habilis sera alors décrit comme l’espèce intermédiaire entre les Australopithèques et Homo erectus, faisant ainsi de lui le « premier vrai Homme ». Aujourd’hui, il est admis que cette espèce a vécu en Afrique de l’Est (Hadar, Olduvai, Omo, Koobi Fora, Ileret, Fejej, West Turkana III) et également en Afrique du Sud (Swartkrans et Sterkfontein).

L’histoire pourrait s’arrêter là, avec d’un côté les Paranthropes et de l’autre les Homo habilis. Cependant, en 1978, une nouvelle espèce est décrite suite à la découverte d’un crâne sur le site de Koobi Fora, au Kenya : le fossile nommé KNM-ER 1470. Ce fossile, bien qu’ayant des similitudes morphologiques avec Homo habilis, est décrit comme appartenant à une nouvelle espèce : Homo rudolfensis. Le fossile KNM-ER 1470 est d’ailleurs l’holotype de cette espèce. Homo rudolfensis aurait vécu entre 2,4 Ma et 1,7 Ma, ce qui en fait un contemporain de Homo habilis, daté entre 2,8 Ma et 1,44 Ma. Pendant longtemps, la distinction entre ces deux espèces a été contestée, principalement parce qu’aucun autre fossile pouvant être rattaché à Homo rudolfensis n’avait été découvert. L’hypothèse principale avancée à l’époque était que KNM-ER 1470 représentait un Homo habilis un peu particulier et que les différences observées étaient le résultat d’une variation intra-espèce. Il faudra attendre 2012 pour que de nouveaux restes pouvant être rattachés à cette espèce soient mis au jour sur le site de Koobi Fora.

Par ailleurs, grâce à la multiplication des découvertes, des différences de plus en plus marquées ont été mises en évidence entre ces deux espèces, permettant de conclure qu’elles sont bien distinctes. Par exemple, Homo rudolfensis présente un volume cérébral plus élevé que celui de Homo habilis. Il possède également une face plus large et plus projetée dans sa partie supérieure. L’ouverture nasale est étroite, et les orbites ont une forme qui peut être apparentée à celle d’un carré. Quant au torus supra-orbitaire, il est réduit.


Cependant, ces deux espèces présentent également des caractéristiques communes. Les mâles mesuraient entre 1,30 m et 1,40 m pour un poids autour de 40 à 50 kg. Les femelles semblent plus petites, notamment dans le cas de Homo habilis, avec une taille avoisinant 1,15 m. Les lobes temporaux sont plus développés, et une asymétrie cérébrale est constatée, avec une partie gauche plus volumineuse que la partie droite. Leurs bras étaient relativement longs par rapport aux jambes, ce qui rapproche davantage ces espèces, dans leurs proportions, des grands singes actuels. Leurs doigts étaient courts, avec un pouce opposable, témoignant de leurs capacités manipulatoires. Les deux espèces semblent également avoir conservé des aptitudes à l’arboricolie. C’est d’ailleurs sur cette base (proportions corporelles, mains robustes avec des phalanges incurvées) qu’en 1999, Bernard Wood et Mark Collard ont proposé de regrouper ces espèces dans le genre Australopithecus. Néanmoins, la position du trou occipital indique une bipédie plus avancée que celle des genres Australopithecus et Paranthropus, bien qu’elle ne soit toujours pas aussi optimale que celle d’Homo sapiens.
Quant à leur alimentation, ils consommaient principalement des végétaux, des tubercules et des racines, mais ils pouvaient également manger de la viande, notamment celle de certains herbivores.
Quelles sont les différences principales qui sont mises en avant pour séparer les Australopithèques d’Homo habilis et Homo rudolfensis afin de les considérer comme les premiers représentants du genre Homo ?
Tout d’abord, une capacité crânienne plus élevée caractérise le genre Homo (entre 500 et 750 cm³, alors que celle des Australopithèques oscille entre 350 et 550 cm³). Les os crâniens sont plus épais, mais le crâne est relativement plus gracile au niveau des superstructures, comme c’est le cas du torus supra-orbitaire. La partie supérieure de la face est moins prognathe (moins projetée vers l’avant) que chez les Australopithèques. Le maxillaire et la mandibule sont plus petits que chez les Australopithèques, et les prémolaires et molaires sont plus étroites et allongées en comparaison. Une partie du squelette post-crânien est très proche de ce que nous connaissons pour Homo sapiens, notamment la clavicule et les pieds. Cela dit, il faut tout de même souligner qu’une grande partie des restes post-crâniens attribués à Homo habilis le sont simplement parce qu’ils semblent plus graciles que ceux des Paranthropes, contemporains et présents sur des sites similaires… En d’autres termes, nous ne connaissons pas de manière sûre et certaine la morphologie post-crânienne de Homo habilis, car aucun reste n’a été retrouvé en connexion directe avec un crâne attribué à cette espèce. Et comme, dans les mêmes niveaux, on trouve aussi bien des Paranthropes que des Homo habilis… vous voyez le problème ?
Vous l’aurez compris, les débats restent vifs autour de ces deux candidats comme représentants des premiers fossiles appartenant au genre Homo. Pour certains, il s’agit d’une seule et même espèce, à savoir Homo habilis. Pour d’autres, ce sont deux espèces bien distinctes. Parmi ceux qui soutiennent l’hypothèse des deux espèces différentes, certains pensent qu’il s’agit de deux espèces du genre Australopithecus. Et enfin, pour d’autres encore, ce sont deux espèces différentes appartenant à des genres différents (Homo, Australopithecus, Kenyanthropus). Pour eux, Kenyanthropus platyops serait alors l’ancêtre de Kenyanthropus rudolfensis. Ces débats reposent en partie sur le fait que la définition du genre Homo a dû être modifiée dès le départ pour que habilis soit considéré comme appartenant au genre Homo.
Pour résumer, l’enjeu dans la classification d’Homo habilis était d’abord d’ordre “moral” : les premiers outils devaient avoir été façonnés par une espèce appartenant au genre Homo. Finalement, des arguments convaincants viennent appuyer l’idée selon laquelle Homo habilis et Homo rudolfensis appartiennent bien à un genre distinct de celui des Australopithèques, à savoir le genre Homo. Néanmoins, il est important de préciser qu’avec le temps, les contours du genre Homo deviennent de plus en plus flous… En effet, la définition de ce genre est une problématique très difficile à résoudre et fait encore l’objet de nombreux débats aujourd’hui, comme vous pouvez le voir sur notre article sur le sujet !
Bibliographie :
- Histoire d’ancêtre
- Wood B. (2011) ‒Wiley-Blackwell Encyclopedia of Human Evolution, John Wiley & Sons, 1922 p.
- Leakey L.S.B., Tobias P.V., Napier J.R. (1964) ‒ A New Species of The Genus Homo From Olduvai Gorge, Nature, 202, 4927, p. 7-9.
- World of human evolution
- Wood B., Collard M. (1999) ‒ The Human Genus, Science, 284, 5411, p. 65‑71.